Stoof : Thibault et Jo devant la gare. En fait, Renaud, il t’a parlé du début avec Thibault et tout ?
Ophélie : Non, pas trop.
Stoof : Ok d’accord. Ben, je vais en parler alors. (…)
Renaud, il était en école d’éduc’ aussi et on était tous les deux en stage. Renaud était en stage et dans le travail social. Il a rencontré Thibault, qui était en galère et qui allait voir des structures sociales, à ce moment là, pour se faire aider. (…) C’était un mec qui était à la rue (…). Et du coup, c’est là qu’une barrière se casse. C’est deux personnes qui se rencontrent et qui ont, à un moment, un désir commun, qui ont envie de faire des choses ensembles. Et du coup Thibault est devenu un éducateur à la maison (il rit) ; Renaud est devenu un usager-éducateur.
Non mais les rôles se confondent c’est ce qui est bien quoi. On n’est plus dans une structure sociale. On est dans un lieu où on s’aide les uns les autres. Il n’y a plus de titre, il n’y a plus de diplôme et chacun trouve sa place indépendamment de tout ça.
Et Jo, travailleur précaire. Donc lui, il est plâtrier plaquiste de formation et lui, il est arrivé en mars (on a ouvert en janvier). Donc il est arrivé assez tôt et direct pareil, ça a mis le coup de pouce dans la maison. Un mec qui arrive, qui sait faire des travaux et tout, machin, paf, paf. Il a commencé à faire du plâtre partout, pom-pom (il rit). c’est devenu tout blanc et c’était super cool !
Et au-delà de ça, oui, il y a eu une vrai rencontre humaine. Enfin vraiment, des gens qui sont devenus des gens très proches. Et puis voilà. J’ai l’impression que chacun fait sa route maintenant, mais on en revient aux rencontres, la maison qui rassemble, un lieu qui rassemble les gens qu’il faut. Parce que la maison appelle ! C’est un truc de fou ! (…) Souvent, ce sont [des] gens, t’as l’impression qu’ils sont un peu en transition. Ils savent pas trop quoi foutre de leur vie et ils se retrouvent à la maison et paf, il y a comme un truc qui est logique ou évident : « C’est ok, là, j’ai quelque chose à faire. »
Après faut trouver le temps que t’as à y passer. Moi j’ai toujours été pour un espace de transition. Fais pas ta vie à Mimir. N’y passe pas dix, n’y passe pas même cinq ans. C’est long ! Fais y quelques mois, quelques années à la limite, si vraiment t’es bien. Mais ça doit être un espace, comme un tremplin… (…) Pour moi, ça a été un tremplin. Et pour la plupart des gens qui y sont passés en fait. Il n’y en a pas beaucoup qui sont restés habitants très longtemps, où un moment… (…)
Moi, j’ai été habitant de janvier 2010 à juin 2012. 2010, 2011, je suis reparti. Je suis revenu habiter parce que j’étais de nouveau dans une période de transition, un peu en galère. Je suis revenu y habiter en 2014, je crois. Et à chaque fois, c’est une période qui a été bénéfique pour moi.
Après, il y a des personnes qui ont eu des expériences autres, où la maison n’a pas été bénéfique pour eux. C’est souvent des personnes qui sont rentrées trop vite dans la maison. Ils ne savaient pas où ils mettaient les pieds. Pour une ou deux personnes, ça a été plus destructeur que bénéfique. Moi, j’ouvrais la maison pour les potes. J’avais pas d’idée de truc social à grande échelle. (…) Moi j’avais des potes qui étaient dans la merde et j’ai fait rentrer deux copains qui savaient pas trop ce que c’était le squat, la vie en communauté, l’esprit de partage… Et qui ont dévissé en fait. C’était pas un endroit qui était serein pour eux et eux n’étaient pas assez serein pour le groupe. Et ça a envoyé du lourd. Et ça a amené des complications balaises. Et moi je suis parti de la maison, eux ils étaient encore dedans et c’est pas moi qui ait géré les départs. En plus, j’étais la personne qu’ils connaissaient le plus. Et même si je pensais qu’ils s’entendaient bien avec les autres, quand je suis parti ça a changé un truc, parce que sans le repère que j’étais, ils ont perdu un peu (…) pied. Ils se sont laissés embarquer. C’était ambiance très festif. Tu pouvais vite rentrer dans un truc « no limites » . À cette époque là, j’avais un peu le truc de médiateur avec ces gens là. Je leur disais : « Aujourd’hui, on fait ça, ça, ça… Tu te lèves. On bosse. Le soir, y’aura p’t’être une p’tite chouille. Mais attention, demain, faut se relever, faut bosser… » Il y avait un truc qui était quand même assez carré. Quand je suis parti, ils entendaient pas ça les autres, parce qu’ils les connaissaient moins. Il y en avait un, il était quand même sortant de prison multirécidiviste et l’autre, il sortait de psy. Donc, c’était deux personnes qui étaient fragiles, en fait, et qui ne se sont plus retrouvés dans le truc et qui ont pété un câble.
C’est une expérience pour tout le groupe. C’est quelque chose qui a fait prendre conscience aussi qu’il n’y a pas tout le monde qui peut habiter à Mimir. C’est pour ça qu’on a voulu faire une sorte de protocole d’entrée. Si tu arrives le mardi et que le jeudi tu deviens habitant, tu vas faire de la merde, parce que tu ne sauras pas où tu habites, tu ne sauras pas avec qui tu habites, tu ne sauras pas ce que t’as à faire dans cette maison. Tu ne sauras même pas pourquoi t’y es arrivé, à part que le destin t’a amené là. Ok, c’est super cool ! Et nous le destin nous y a amené. Mais il fallait un moment pour les débuts. Même nous, on a mis un mois…
C’est Henry* [le prénom a été modifié] qui nous a ouvert la porte. Il était avec nous, au début, quand on cherchait à ouvrir notre baraque. (…) On s’habillait en gars de chantier (il rit), on partait avec notre perceuse et puis on repérait une baraque vide, on essayait de péter la serrure à la perceuse. On s’est cassé la perceuse sur deux-trois baraques. Et puis, un soir, on squattait avec Renaud chez moi. J’habitais le quartier Krutenau et Henry est passé. Il était une heure du mat’. Il fait : « J’ai un truc à vous montrer les gars ». Avec Renaud, on met une veste et puis on y va. On était en décembre, il faisait -10°. C’était un putain d’hiver ! On a fait cinq cent mètres et il a ouvert la porte anti-squatte qui avait été pétée quelques semaines avant par un mec qu’on connaît. (…) Henry a ouvert la porte et il a fait : « C’est là. » Avec Renaud, on est rentré dans la maison.
Je me rappelle encore quand on est monté, quand on a monté l’escalier. J’ai encore un frisson quand je t’en parle. C’était un moment (il prend une grande inspiration), c’est quand toutes les étoiles s’alignent. T’es là : « Ouaaaah ! »
On monte. Il y a un étage. iIl y a deux étages ! (il rit) Il y a trois étages ! Il y a une cour, il y a une salle derrière… Et franchement, je ne sais pas si Renaud, il a eu le kiffe que j’ai eu à ce moment là, mais moi, je savais que c’était là.
C’était un putain de moment ! C’était trop bon !
Après on a bossé. On a préparé un peu le projet. On a vu ce qu’on pouvait y faire…