En me montrant la photo du tribunal de grande instance, Stoof revient sur les tous débuts du squat Mimir en 2010, le passage au tribunal qui a été décisif pour l’association et le début du chantier Mimir.
Stoof : Le tribunal d’instance.
Mimir, pour moi, c’est aussi la lutte pour faire valoir ses droits, parce qu’on a droit d’avoir des rêves et de vouloir les concrétiser.
Si on avait choisi le le chemin classique, on aurait écrit un projet, on aurait demandé à la mairie d’avoir le bâtiment… La mairie nous aurait dit : « Votre projet est intéressant, mais ce bâtiment là est voué à l’abandon et vous ne pouvez pas rentrer dedans, parce que c’est trop dangereux ». Ils nous auraient peut-être envoyés dans une MJC de quartier, faire de l’animation (il rit). Voilà et non.
En fait, la maison, on l’a découverte et c’est ça qui est bien. C’est qu’on a pu faire ce qu’on voulait, au moment où il le fallait. Quand on me demandait : « Qu’est ce que ça m’a apporté Mimir? », moi, je répondais souvent qu’en fait, ça m’a enlevé de la frustration. Ça m’a apporté beaucoup de choses, mais ça m’a enlevé cette frustration de ne pas pouvoir agir comme je voulais.
Quand on a fait quelque chose ensemble, la manière dont on a choisi, un petit peu à l’arrache, et ben putain, c’était vraiment bon (…) de pouvoir faire notre truc et de pouvoir agir ! Parce que ça faisait longtemps qu’avec Renaud, on faisait des manif’, on écrivait des trucs. On avait fait un fanzine pendant [l’OTAN (ndlr : Sommet de l’OTAN en 2009 à Strasbourg)], qu’on distribuait dans la rue. On avait fait de l’affichage sauvage aussi. Mais tout ça, c’était très débité. Ce n’était pas une vrai lutte. Ce n’était pas une lutte au quotidien. En tout cas, ça avait moins de sens que d’avoir un lieu qu’on anime et qu’on laisse ouvert pour tous les gens qui veulent faire des trucs, faire des choses qui vont dans le même sens (…).
Le tribunal, on est passé au tribunal et on a gagné et perdu.
Ophélie : Perdu ?
Stoof : (…) Nous, on s’était mis en lien avec la mairie déjà avant, pour parler de notre projet. La mairie avait été intéressée, mais la mairie a dit : « Nous, on fait la démarche judiciaire classique. On vous met au tribunal pour « occupation illégale d’un bâtiment » et le juge décidera… » Et le juge a décidé. Il a dit : « Oui effectivement, vous occupez un bâtiment illégalement, mais c’est à la mairie de décider si elle vous fait payer des amendes journalières… » Je crois que c’était 500 euros d’amende journalière. C’était un truc super cher ! La mairie ne nous a jamais demandé ces amendes et du coup, elle a tacitement accepté qu’on occupe le lieu. Mais elle avait une décision du tribunal, qui fait que si la mairie disait : « Bon, ben aujourd’hui, vous dégagez », et ben elle pouvait envoyer les CRS et on dégageait. Donc on a perdu, mais on a gagné.
Ophélie : C’était 500 euros par jour ?
Stoof : C’était quelque chose comme ça. C’était vraiment une somme dégueulasse, qui fait que, de toute façon, un squatteur, quand il entend ça, il dégage. Le proprio peut dire : « À partir d’aujourd’hui, tu me payes 500 balles par jour. » Il faudrait peut-être le procès verbal, parce que j’ai plus en tête le chiffre mais c’est un truc vraiment décourageant pour les squatteurs.
(…)
On était parti de la maison à vingt ou trente. On avait squatté devant le tribunal. Il y en avait trois ou quatre de nous qui sont rentrés dedans, pendant que les autres squattaient dehors. Tranquille, on était posés dehors (enfin les copains étaient dehors), pénards, pas de gros tohu-bohu, mais juste une présence et je pense que ça a joué aussi sur le truc. Ils ont vu plein de gens dans la petite rue du tribunal d’instance. Ça faisait très groupe. Mais ils ont vu des gens qui étaient très cool, qui venaient juste soutenir, mais pas foutre le bordel quoi. On est rentré (je crois que c’est le bureau qui est rentré, Thibault, Renaud et moi). On avait un avocat. C’était un copain qui nous avait défendu. C’était un mec cool qui nous avait défendus comme il pouvait et il avait bien fait son boulot. Du coup, on avait mis en avant le projet. On avait mis en avant le fait qu’on avait déjà commencé des démarches, même auprès de la mairie.
Ophélie : C’était quoi [le] projet que vous avez présenté ?
Stoof : En gros, on avait écrit une lettre au maire. On était allé voir l’adjoint au maire, à l’époque, c’était Bies. (…) Lui il avait dit qu’on avait un projet intéressant…
On avait galéré pour monter le projet, parce qu’il fallait que ça soit quelque chose qui tienne la route. [Il] fallait que ça soit quelque chose qui soit compréhensible, parce que c’était dur d’expliquer. Moi, j’étais éducateur, j’étais en formation d’éduc’, en troisième année. Monter un projet pour qu’il soit cohérent et compréhensible pour un adjoint au maire, il faut que ça soit quelque chose de vraiment un peu rodé.
En fait, l’idée c’était de mettre en relation trois pôles importants pour nous, qui étaient : l’hébergement pour les personnes qui en avaient besoin ; l’action sociale, donc l’activité du lieu par les personnes qui y habitent, le lien social, pour que le lieu soit ouvert (donc, laisser la porte ouverte pour des actions qui vont vers l’extérieur, pour les personnes en galère) ; et le culturel, pour que les personnes qui sont en galère ne soient pas juste des personnes qui utilisent le lieu, mais des personnes qui vont s’ouvrir vers autre chose : le culturel.
(…) En commençant avec un lieu, en se demandant ce qu’on allait y faire, on s’est rendu compte qu’en fait le lieu vit par rapport aux gens qui y habitent. Si le lieu avait été pris par des peintres, ils auraient fait une maison super bien jolie, colorée et tout et puis p’t’être que ça aurait été juste une maison d’habitat avec des peintres dedans. Si ça avait été pris par des artistes, ça aurait été (…) peut-être une friche culturelle, avec des gens qui font des performances, des vernissages, des peintures, des tableaux, des sculptures, tout ce que tu veux d’ailleurs. (…) Vu que le lieu a été pris par des gars qui étaient à l’école d’éduc’ (donc dans le social) et par des gars qui étaient à la rue et qui étaient plutôt poussés [par] la musique, le culturel, ben ça a donné un lieu social et culturel. Mais ça a été vraiment naturellement vers ce chemin là.
Ce qui a été le plus dur, ça a été de le verbaliser et de l’écrire ce projet qui nous correspondait à l’époque. Je crois que c’est ce qu’il y a de plus dur, à un moment, de se définir. Quand tu te définis, tu peux définir un lieu où t’es.
(…)
Mais il y a quelque chose qui se transmet, parce qu’il y a toujours des gens qui sont dans le social dans la maison, il y a toujours des gens qui sont dans le bâtiment dans la maison, parce que la maison en a besoin, de toute façon aussi. Et il y a des gens qui sont en galère et il y a un truc qui se poursuit dans cette maison, mais naturellement.
(…) Moi j’étais dans le social, j’y connaissais rien en bâtiment, donc j’aidais un petit peu dans les travaux, ce que je pouvais. Mais ceux qui étaient dans le bâtiment, participaient aux soirées (ce qui se fait encore) et c’est peut-être dans l’autre sens que c’est le plus dur, c’est des gens qui sont pas dans le bâtiment, qui vont quand même y aller. Qui vont quand même y aller dans les travaux (…) pour montrer qu’ils sont là. Pour montrer qu’ils sont là, parce qu’ils savent que faire les travaux, c’est quelque chose qui est pénible et que si on se résout à dire : « Ceux qui font les travaux, font les travaux et que, en fait, ils peuvent les faire seuls, parce que moi j’ai pas de compétences, pas le temps, ou machin… » Et ben là, il y a une scission et une scission qui sera compliquée à combler.
Mais moi je faisais pas grand chose niveau bâtiment, mais j’étais là. J’étais là dans la journée, je prenais des photos, je discutais avec les gens, je faisais le café, je faisais le ménage… (…) Moi je faisais le balai. Un moment, je mettais un outil par personne : il y avait le marteau, il y avait le plâtrier, il y avait la truelle, il y avait le balai, il y avait le tournevis… Et chacun avait un rôle aussi dans la maison, au niveau vraiment utilitaire-travaux. Mais c’est sûr que si y’a une truelle pour dix balai, ça avance moins bien…