Stoof : L’étage – club de jeune.
C’était mon stage de troisième année d’éduc’. C’est l’association qui travaille avec les 18-25 ans « en errance » (comme on dit dans le social), à la rue quoi.
En fait, Renaud a rencontré Thibault dans son stage et moi j’ai rencontré Hakim* (le prénom a été modifié), un jeune qui avait à l’époque 18 ans et qui venait me voir pour sa situation sociale qui était assez chaotique. Il habitait chez un pote et son pote lui disait, chaque semaine, le temps qui lui restait à passer chez lui. Donc, il venait me voir chaque semaine pour me dire :
« Bon ben là, mon pote m’a dit qu’il me reste cinq semaines. »
« Donc là, mon pote m’a dit qu’il me reste quatre semaines »
« Donc là, mon pote m’a dit qu’il me reste trois semaines »…
Et, en fait, il me disait : « qu’est ce que je fais ? » Et je lui disais : « Ben là, y’a pas de place d’urgence, y’a pas trop de solution. T’as pas de taff, t’as pas d’argent, t’as pas de famille dans le coin qui va t’aider… » Donc, un moment je lui ai dit : « Là, dans trois semaines, tu vas faire le 115… » Et Hakim m’a dit : « C’est tout ce que t’as à me proposer ? »
Ça, j’ai mal vécu.
Je suis allé voir mon tuteur de stage (il inspire), et je lui ai dit : « Là, j’ai un jeune, il va se retrouver à la rue dans trois semaines et moi je lui ai dit de faire le 115 et je le vis mal. » [Mon tuteur] m’a dit : « habitue-toi. »
J’avais du mal à m’habituer à la situation et du coup, on s’est retrouvé sur les quais avec Renaud, qui lui rentrait de sa tournée de squat à Paris… On se retrouve tous les deux sur un banc, à côté de la gendarmerie, de l’hôtel de police. Il me raconte sa tournée des squats. Il avait halluciné. Il avait vu des trucs trop cool ! Et moi, je lui parle de ma situation à l’Étage. (…) Tous les deux on était là, on s’est regardé, on a fait (p’t’être qu’on l’a dit ensemble) : « On ouvre un squat ! »
C’est là qu’on a commencé à chercher pour les baraques. J’ai attendu un peu. Hakim s’est démerdé quelques semaines. On a essayé d’avoir déjà le chauffage, l’eau dans la maison, ce qui a pris deux mois je crois. On l’a eu en mars. On a fait la fête de l’eau en mars. Et pour Hakim, j’ai pris du temps à me décider, parce que l’éducateur qui dit à une personne qui vient lui demander de l’aide : « En fait, tu peux habiter dans un squat. » C’est lui proposer quelque chose d’illégal. Donc, on peut appeler ça de la manipulation. C’est pas trop conseillé. Mais j’ai quand même dit à Hakim : « écoute, y’a un lieu qui s’est ouvert quartier Krutenau. Il paraît que c’est pas mal. Si t’y vas le jeudi à 18h, peut-être que je serai devant et je peux peut-être voir s’il y a une place pour toi. »
Là, (…) ce que je voulais surtout lui apporter, c’était un choix. C’était 115, mais t’as aussi ça. Le truc de l’éducation, educare, éduquer, ça veut dire « amener vers autre chose ». Donc moi, j’avais envie d’amener Hakim vers autre chose. Pas juste la rue qu’il connaissait depuis assez longtemps. Par rapport à ses 18 ans, il avait déjà trois ou quatre ans de galère, je crois, derrière lui. (il inspire) Trois ans au moins qu’il galérait… Hakim s’est pointé le jeudi à 18h. J’étais devant, on a visité la maison et il a dit : « Moi, de toute façon, je suis dehors, donc c’est mieux que je sois dedans… » Et il a squatté avec nous (..) quelques mois. Il a aidé aux travaux.
C’est devenu un pote,(…) on a cassé la barrière. C’est marrant parce qu’en plus, on avait douze ans d’écart d’âge. Je me rappelle cette soirée où il m’a fait : « Mais, on est pote ou quoi ? » J’ai fait : « ben ouais on est pote, ouais » (il rit). Le gamin de dix-huit ans qui devient pote avec son éduc’ de trente ans quoi ! Il y avait un truc… Ça lui a un petit peu ouvert la tête à Hakim.
Quand je suis parti, ça a été aussi dur pour Hakim. (…) Mais bon, chacun à son chemin à faire. Moi j’avais le mien à faire aussi…