Jour 4 – 20/03/2020 – Sans papiers

J’ai découvert le journal virtuel de l’écrivain Wajdi Mouawad. Le quotidien qu’il nous conte est inspirant, tant par ses références à Ulysse confiné sur l’île de la nymphe Calypso ou à Noé sur son arche, que par son invitation au voyage s’échappant de ses mots et nous amenant vers son abri. D’autres écrivains se prêtent également au jeu. Que savent-ils faire d’autre de toute façon ? Alors, écrire son journal de confinement semble être le nouveau concept phare de ces jours. Je me félicite de surfer pour un fois sur une vague qui se forme. Je sens monter en moi une revanche sur ma terrible enfance, où armée de mes plus beaux caleçons colorés, j’affrontais inégalement mes populaires camarades sapés de baskets et de blousons de marque. Aujourd’hui, je me sens dans le coup.
Mais cette mode n’est pas au goût de tout le monde. D’autres s’indignent, à juste titre, de lire les affligeants écrits romantiques de bourgeois qui partagent avec maladresse l’insoutenable confinement qu’ils subissent dans leurs maisons secondaires campagnardes, montagnardes, ou littorales. Car oui, certains oublient peut-être que d’autres croupissent dans d’insalubres studios, dans de hauts immeubles gris dont le vis à vis de leur cage laisse apparaître tout autre chose qu’un paysage serein et verdoyant. Pensent-ils aussi à ceux qui sont à la rue qui n’ont pas de maison, un service d’aide réduit à son stricte minimum et à qui demander une attestation de sortie est comme leur faire une mauvaise blague. Leur confinement à eux, c’est la rue et à Strasbourg (à entendre certains collègues), la mairie ne semble pas avoir encore pris de décision les concernant.

Dans l’après-midi, j’ai décidé de sortir voir le fonctionnement d’un magasin. Je suis d’abord partie sans papier d’attestation mais j’ai très vite fait demi-tour, inquiète de recevoir un éventuel et ridicule procès verbal. Je me suis dit qu’en cette période de non-affluence de véhicules sur les routes, les temps doivent être durs pour le ministère des amendes pour stationnement ou excès de vitesse. Ils sont donc peut-être nombreux à verbaliser les sans-papiers que nous sommes tous susceptibles d’être désormais. J’ai donc attesté librement sur un papier blanc que je m’autorisais à sortir (ça reste toujours beaucoup plus simple pour moi que pour un sans-papier avéré).

Au magasin, tout était lent. Des protocoles ont été mis en place. Des morceaux de papier adhésif ont été collés au sol pour indiquer le mètre réglementaire à respecter entre chacun. Des affiches de respect des distances ont été accrochées un peu partout et je n’ai pas pu acheter de viande à la dame qui vendais la charcuterie car on ne mélange pas les torchons et les serviettes. Dans les hauts-parleur du supermarché, des informations sur le coronavirus et le protocole à suivre dans le magasin se répétaient.

Certains rayons étaient vides et quelle n’a pas été ma surprise lorsque je suis arrivée au rayon du rare et précieux papier toilette ! Les étagères habituellement blanches et roses pâles laissaient apparaître un seul, unique et dernier petit paquet de ces douces feuilles qui subliment nos fessiers. J’étais chanceuse : le dernier était pour moi. Mais j’étais surtout troublée. Ce que j’avais lu sur la toile était donc vrai : des pilleurs de papier toilette sévissent dans tous les magasins, même jusque dans la vallée. Pourtant, les autres rayons n’ont pas subi les mêmes effets de la crise sanitaire.
Toutefois, je ne m’inquiète pas de cette pénurie. La population des temps jadis utilisait du papier journal. J’en ai. Au Japon, les toilettes sont munis d’un jet d’eau qui nettoie directement l’arrière train souillé. Ma salle de bain mesure deux mètres carrés. Mes toilettes sont à égale distance de la douche et du lavabo. Il me suffit de me pencher un peu et de laisser couler l’eau pour que cet irrésolvable problème de nettoyage soit réglé.
Un employé m’a dit qu’en début de semaine, la folie s’était emparée de nombreux clients. Avant de se confiner, pour rester en bonne santé et n’être contaminé par personne, certains rusés se sont rués en masse dans et devant les magasins, se poussant, se pressant, se bousculant et s’accrochant les uns aux autres. Amusée par cette méthode de propagation efficace du virus, j’ai applaudi discrètement cet extraordinaire haut potentiel d’intelligence humain, aussi délirant qu’égoïste. L’instinct grégaire est plus viral qu’un virus.

Autre incompréhension, les plexiglas d’un mètre de large installé devant chaque caissière. Ce long tapis roulant qui nous amène les denrées n’est protégé qu’au tiers. Une affiche nous invite à privilégier la carte de crédit. Mais à l’endroit même où je paye et échange avec la caissière, il n’y a pas de protection. Je la questionne. Elle me fait par de la même incompréhension. Heureusement pour elle, les après-midis sont calmes.

Je m’offusque aussi de cette vente sur amazon qui, elle, continue sans relâche à assouvir nos frénésies d’achats compulsifs. « Une explosion de commandes » titre un journal. Bien sûr, il y a des nécessités, mais les produits achetés à cette entreprise, qui fait travailler une horde d’ouvriers, dans des conditions d’hygiène plus qu’insuffisantes, sont-ils vraiment nécessaires ?

J’ai finis par rentrer chez moi. J’ai enlevé mes chaussures devant la porte comme je l’ai vu suggéré dans je ne sais quel Xème article et j’ai rangé mes courses sans savoir que je ne respectais pas un Nème protocole. Quel ne fut pas mon embarras lorsque, quelques heures plus tard, un ami m’expliqua qu’il ne fallait surtout pas sortir ses courses de la voiture pendant 48h (ou 1h30 pour d’autres)… Je ne sais plus…

On fait tous comme on peut finalement.

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Une réponse à Jour 4 – 20/03/2020 – Sans papiers

  1. Cha dit :

    Heureuse de lire ton témoignage concernant le fonctionnement des magasins en ce moment, je n’y ai toujours pas foutu les pieds depuis le début du confinement. Ce que tu décris de ta jolie plume cependant amène un peu d’onirisme à ces rayonnages vides. Je rêverais les grandes enseigne à défaut d’y mettre les pieds.

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