Tibtib : Là, c’était l’ancien bureau, puis c’était une chambre, puis ça a été un mini salon, un mini bar. C’est devenu la cuisine et puis maintenant c’est les toilettes hein.
Ophélie : c’est au rez-de-chaussée ?
Tibtib : ouais c’est l’ancienne cuisine, au rez-de-chaussée, qui sont les toilettes aujourd’hui.
Et j’y avais mis vraiment du mien quoi, tu sais, comme on a un peu de mal à bosser ensemble parce qu’on n’est pas tous avec les mêmes qualités de travail. Je sais pas bosser à la Patrique* [ndlr : le prénom a été modifié] par exemple, ou à la Jo : fff fff fff. Tu sais, vite fait bien fait. Mais je suis assez autodidacte et j’aime bien commencer limite par les finitions avant le gros œuvre (…) et comme je commençais à Mimir, à avoir pas mal d’expérience sur le BTP, je me suis dit : « bon, ben, au lieu qu’on bosse tous ensemble sur une pièce pour qu’elle soit bonne, puis après tous ensemble sur une autre (toute façon ça marchait pas hein, Mimir c’est encore en travaux aujourd’hui et ça remonte…), je me suis dit : au pire on prend chacun une pièce et tout le monde se démerde. On demande un coup de main au voisin si besoin pour les trucs un peu plus spécifiques et moi, je me suis dit : « bon, ok, je prends la cuisine. »
Puisque j’avais commencé aussi à gérer les récup’ et tout, j’ai bossé en cuisine collective, je connais les normes d’hygiène (le chaud ne croise pas le froid ; le propre ne croise pas le sale et cetera). Et donc je me suis attaqué à la cuisine. Ok, ben je la fais tout seul, je ne veux pas d’aide. Et puis ça m’a pris peut-être un an, un an et demi pour la faire tranquillement, tous les jours un petit peu…
Mais voilà, en fait, c’est faire et défaire et refaire et défaire. Ça c’est un truc aussi qui m’est passé par dessus la tête à la maison et je me suis dit : « bon ben on fait une bonne chose une fois pour toute et moi je m’occupe de la cuisine. Chacun fait son truc. » Je ne m’en occupais plus. J’étais dans ma petite bulle. C’est ma cuisine et voilà. Et puis j’ai pris vraiment du temps et de l’énergie pour que ça soit nickel-nickel ! Je ne sais pas si tu te rappelles de la cuisine avant les travaux des toilettes ?
Ophélie : je ne connaissais pas.
Tibtib : Avant que je parte en voyage, avec Jo justement, en Inde, il y a quatre ans. (…) Je l’avais faite toute bien. J’avais fait l’eau, l’électricité. J’avais refait l’isolation, le plafond, les tomettes partout, ressortir les vieilles pierres autour des fenêtres, les linteaux, la hotte… (…) tout bien nickel, des grands plans de travail, rien qui ne touche le sol, avec tout fixé au mur, le gros lavabo fixé au mur aussi, les plaques de marbre sur les petites fenêtres… Je m’étais régalé à me faire chier, bien-bien et qu’une fois que je suis parti, que je reviens quelques mois après mon voyage d’Inde, ben c’est plus une cuisine (…), ils ont décidé que ce serait la toilette.
(…) Je trouvais ça dommage qu’on soit tous ensemble à faire en travaux, ce qui est le cas dans la maison en général hein, ou qu’on soit chacun dans son coin à évoluer, des petits bouts de maison par-ci par-là, tant que le travail avance, on s’en fout, tant que c’est bien fait, aux normes quasiment (enfin il manque encore quelques éléments, évidemment, des rangements, des étagères mais sinon c’était relativement aux normes) et (…) tout le monde : « woua ! C’est beau ! C’est bien ! C’est super ! » Tant mieux. Je me suis dit : « bon, mais c’est cool. Elle est partie c’te cuisine. Elle est faite pour durer. » Je l’ai faite pour que, dans vingt ans, elle soit encore là. Et ben non.
Ça a du prendre autant de temps pour la démonter mais moi je trouve ça dommage ! Pour garder quelques mètres carrés sur la pièce d’à côté, qui était déjà prête à recevoir la main dans le bac, à l’époque, et puis de tout devoir refaire… (…) La cuisine, je la trouvais bien au milieu, dans le sens où on pouvait servir directement par la fenêtre. Même cette fenêtre là [ndlr : voir photo], tu vois, pour la récup’ qu’on prenait dehors, on n’avait pas à faire tout le tour ou machin, on l’a passait par là direct. J’avais [fait] un espace libre exprès et je trouve qu’une cuisine au milieu de la maison, c’est normal. On pouvait servir côté cour, on pouvait ramener côté cour. J’avais rouvert l’ancien four à pain qui donne dans le prix libre. (…) Et, du coup, il y avait de quoi faire passer une assiette, un verre, la caisse tranquillement, puis discret. enfin voilà (…), j’ai pas compris pourquoi on vire tout, on met la toilette là. Alors que la toilette ça ne se met pas au milieu. La toilette, elle ne se met pas pile-poil au milieu, entre la cuisine le prix libre, la cour, l’escalier et l’entrée du bar et du salon. Ça ne se met pas en plein milieu, enfin dans ma tête hein, dans ma logique.
Ophélie : Mais t’as posé la question ?
Tibtib : Ben dans leur logique à eux, c’est mieux. Donc voilà et puis de toute façon j’ai toujours un problème avec ça, avec la communication à la maison. J’essaie pas de faire porter ma voix. Aux AG, je ne parlais pas beaucoup et de moins en moins. Plus je voyais comment ça se passait, moins je parlais. Après, je participais, et puis de moins en moins. À la fin, je ne venais plus : c’est une AG ? Bon ben je sors hein. Je vais faire un tour… Tellement il y avait beaucoup de communication mais pour ne rien dire finalement.
Et puis moi, le peu de communication que je donnais, j’ai l’impression qu’il n’y avait aucun poids à mes paroles. (…) Je dis pas que ma logique, elle est un petit peu décalée. J’ai un esprit un peu en psychologie inversée. Ça m’arrive souvent, on me le dit mais après, c’est comme Starmania quoi : « j’sais pas si c’est la terre qui tourne à l’envers ou bien si c’est moi qui m’fait mon cinéma… » Et ben c’était vraiment ça : gros cinéma Mimir. Ça m’a un peu frustré enfin pas mal d’ailleurs. Et même JP il m’avait dit : « oh ! C’est beau ! Prends une photo, parce que tu verras, ça va pas durer. » Et je sais bien qu’à Mimir les choses durent pas mais changer de pièce comme de chemise c’est un peu… et effectivement le temps que je parte et que je revienne c’était déjà plus ça. (…) Mais bon après c’est pour ça que j’ai (…) arrêté de comprendre et que je voyais que, de toute façon, ça marchait pas et que ma voix ne portait pas beaucoup. J’étais finalement dans l’acceptation, surtout en revenant d’Inde où j’ai appris un peu plus l’abnégation et l’acceptation de ce que peuvent être les choses dans l’état. Et laisser comme ça et se dire : « bon ben si ça change, ça change et ok puis tant pis. » C’était plus pour me défendre aussi parce que quand t’aimes le bébé, le projet, tu gueules.
(…)
Ophélie : Je fais une petite chronologie des habitants chez Mimir. Est ce que tu peux me dire quand est ce que tu es arrivé à la maison ? C’était au tout début ?
Thibaut : Alors moi, je suis arrivé au tout début. C’était en décembre 2009 et il y avait déjà Stoof et Renaud sur le projet. Ils étaient à l’école d’éduc’ ensemble et ils en ont discuté. Et moi, en fait, c’était le moment où j’étais en train de me sevrer dans les bois, à mon arrivée et j’ai pris mon vélo, comme d’hab’, je m’enfuis parce que ça me va très bien. (…) Surtout, pour arrêter la came, rien de mieux qu’un tour en vélo dans la nature.
Et je suis parti en Allemagne. Avant ça, je m’étais arrêté sur la frontière pour prendre un peu des nouvelles du pays voisin (comment ça marchait) et je tombe sur Espace Indépendance, Espace I quoi, là où bossait Renaud à l’époque. J’avais laissé une valise, une guitare, je fais mon petit tour, ça ne s’est pas trop bien passé là-bas et je reviens.
Et en revenant, je voulais récupérer mes affaires donc je retourne voir Renaud à Espace I et il me dit : « ah (…) ça faisait longtemps ! Tu vas bien ? Content de te voir ! Viens, on va discuter en aparté dehors. » Il me paye une clope, un café, on discute et là il me dit : « écoute, moi je suis travailleur social et j’en ai marre du social conventionnel (…) et j’ai envie d’ouvrir un squat, de faire du social un peu plus engagé. Et j’ai besoin de gars comme toi. Je vois que tu te débrouilles bien en squat et machin. Est-ce que tu as envie de venir filer un coup de main quoi ? »
En général, c’est pas que je dis toujours oui mais bon, je suis plutôt du genre à accepter ce genre d’action. Je n’aurais jamais imaginé que ça partirait aussi loin. Ouvrir un squat, oui. Les flics arrivent après, oui, comme d’hab’. Je n’aurais jamais imaginé… J’aurais pu dire non et continuer ma route mais bon, le hasard a fait que j’ai dit oui et je suis arrivé.
Donc Renaud m’a présenté Stoof et y’avait aussi le frère à P***. Et il s’était investi il avait voulu ouvrir un truc. après lui il avait pensé vraiment ouvrir ce lieu dans un autre délire qu’eux donc il a pas vraiment été compatible avec ce lieu il a préféré partir, enfin repartir (il a toujours un pied dedans bien sûr mais il a préféré quitter vraiment le projet et faire un truc à côté). Donc, du coup, on s’est vraiment retrouvé Stoof, Renaud et moi au tout début. Et puis Stoof, il finissait son école d’éduc’. il avait son diplôme à passer. Donc, il habitait encore chez lui, il travaillait sur son mémoire. Et Stoof et Renaud étaient déjà plutôt sur le stylo alors que moi j’étais plus sur le tournevis, comme on dit, chacun ses outils et il y avait deux stylos pour un tournevis. Je me suis dit : « c’est un peu limite ». Et bon, ça faisait deux-trois semaines, pas plus, on a commencé à faire le squat en tant que tel, vraiment la taupe et officiellement on a ouvert en janvier 2010. Mais on était déjà là un mois avant, le temps des préparatifs. J’ai dormi chez Renaud, il avait toute confiance. Il m’avait laissé les clefs de chez lui. Le matin, on partait de chez lui, (…) on s’arrêtait à la gare, il prenait cinq minutes d’avance pour entrer, puis moi j’arrivais cinq minutes après, du genre : « oh ! Bonjour Renaud. Ça va ? » C’était assez drôle de jouer un double jeu comme ça parce qu’apparemment ils n’ont pas le droit. (…) Si t’étais ami avant, oui. Si t’étais ami après, t’as pas le droit d’être ami après avec quelqu’un avec qui tu bosses… Enfin, tout ce genre de règle que Renaud avait envie de casser aussi de ce côté là.
Et très vite après, j’avais un ami à Lyon, de squat, des copains, donc je leur ai dit : « oh ben j’appelle F***, un de mes bons potes de Lyon, je lui dis : « viens voir on va ouvrir un truc à Strasbourg, ça va pas tarder, comme les squats, ça va pas tarder à fermer. C’est un beau truc. Ça vaut le coup, viens jeter un œil puis passer un week-end à Stras. » Il m’a fait : « ok, j’arrive » et puis il est venu avec Jo. Et je ne le connaissais pas du tout. (…) Et puis au bout du weekend F**** a dû repartir pour rentrer lundi au boulot et Jo, il n’avait rien à faire et puis finalement, au bout de trois jours on a dit : « écoute reste, t’es super ! » En plus, il y avait pas mal de BTP, de boulot. Il avait pas mal bosser dedans, il avait de l’expérience.
Donc voilà quoi, finalement, on se retrouve avec deux stylos et deux tournevis avec Jo. Ça commençait à s’équilibrer… (…) Après, il y a chacun qui est venu rapporter son « instrument », entre guillemets, sa capacité.
C’est comme ça que j’ai rencontré Jo qui est devenu par la suite un super copain.