Description du projet suite à un débat qui s’est tenu à Strasbourg en octobre 2004 avec l’association le Parlement des arts, des architectes, des travailleurs sociaux, des plasticiens, autour de la problématique de l’espace public.
Contre-attaque L’espace public en questions
Documentaire / Intervention urbaine Gilles Paté / David Hurstel et le Parlement des Arts, Strasbourg, octobre 2004
Sommaire
Synopsis Note d’intention
Le contexte de ce travail Annexes : demande, feuille d'enregistrement, résumé, cv
1/ Synopsis
Description de dispositifs d’exclusion
Le documentaire décrit des dispositifs anti-sans abris et anti-roms à Strasbourg et dans sa périphérie. La caméra détaille leurs tailles, situations, diversité des formes pour un même objectif : éloigner les populations.
Dans le cas des sans abris, les pointes et autres accoudoirs empêchant la position couchée sont placés devant les magasins, dans les parcs et sur les places.
Dans le cas des roms des plots, fossés et autres barrières sont méticuleusement placés autour des terrains vides en attente de projet en périphérie de la ville.
Il est important de montrer leur diversité, cachée sous une apparente discrétion high tech, pseudo décorative ou faussement technique ( type chantier DDE). C’est leur nombre qui fait sens, et la diversité des commanditaires de ces dispositifs prouve qu’il ne s’agit pas d’une politique unique mais d’une diversité de maitres d’ouvrages (commerces privés, syndics d’immeubles, collectivités locales). Tous, sans s’être concertés, ont recours d’une manière ou d’une autre à cette « politique par défaut ».
On se rend compte que ce design guerrier vise des populations différentes avec un fonctionnement et des problèmes complètement différents, mais auxquelles s’applique un même type de politique par défaut : éloigner par la force.
S’ils stigmatisent les populations à la rue, ils sont subis par tous et déforment notre usage de l’espace public: ils dissuadent la rencontre fortuite et transforment l’espace public en lieu de passage.
Témoignages de sans abris, de roms
En écho à ces descriptions, les intéressés décrivent leur manière de déjouer ces objets agressifs mais souvent inefficaces et leurs portraits nous amènent à mieux comprendre leurs différences, entre population sans abri en milieu urbain d’une part et population nomade rom en périphérie d’autre part. Chaque situation est unique. Le plus souvent la rue n’est pas un choix mais une violence subie.
Les portraits de sans abris seront le fruit d’un travail préalable afin de sortir du portrait stigmatisant et cliché ou encore « folklorique ». Les récits porteront sur les lieux de rencontre dans la ville, les parcours journaliers, la connaissance de ces dispositifs, leur effet, les organismes et lieux relais.
La caméra montre si possible les lieux de rencontre, et ceux à éviter, elle suit les parcours dans la ville.
Des roms décrivent les lieux de résidence temporaire autour de l'agglomération strasbourgeoise et les difficultés rencontrées pour s'installer dans ces lieux. Ils décrivent les dispositifs d'entrave au squat d'un terrain vague et les manières de les déjouer. Ils parlent de leur vie et des lieux où ils trouvent des échanges.
Les portraits et la description par l’image des conditions réelles de vie des populations nomades dresse un constat d’échec de ces politiques de reflux, tant par les possibilités de déjouer ces dispositifs que par l’évident manque de discernement des problèmes spécifiques des différentes populations que ces dispositifs visent.
Propositions
En écho aux portraits des intéressés, on entend la parole de travailleurs sociaux strasbourgeois qui connaissent bien les sans abris d’une part et les roms d’autre part et qui esquissent des solutions possibles, un travail social à mener avec et non pas contre les populations nomades, un travail de fond qui requiert une volonté politique des élus.
D’autres paroles émergent dans le domaine cette fois du design, de l’aménagement ou des arts plastiques : une autre conception de l’espace public est possible, qui favorise un espace public partagé, en débat, ouvert aux rencontres et aux échanges essentiels à la vie de la cité.
Cette partie ne peut être qu’esquissée dans le cadre du film, et sera plus développée dans l’événement qui l’accompagne (voir note d’intention). Elle prendra pour exemple des situations urbaines spécifiques à Strasbourg où un élément de design non intentionnel est réapproprié par les habitants, des propositions d’architectes, de plasticiens.
2/ Note d’intention : lier un documentaire et une intervention urbaine
Un débat s’est tenu à Strasbourg en octobre 2004 à l’initiative de David Hurstel, de l’association le Parlement des arts, une rencontre entre architectes, travailleurs sociaux, plasticiens autour de la problématique de l’espace public.
Ce débat s’appuyait sur la présentation du « repos du fakir », court métrage traitant des mobiliers anti-sans abris à Paris, réalisé par Stéphane Argillet et l’auteur en 2003.
Les différents intervenants ont décrit la situation de l’espace public à Strasbourg, avec l’apparition de dispositifs similaires à ceux présentés dans le film à Paris, ils ont cité également l’existence d’une cellule de travail anti-roms, imaginant des obstacles pour empêcher les nomades de s’installer dans les terrains vacants autour de Strasbourg.
Les intervenants ont débattu du caractère néfaste de cette politique : tenter par le design d’exclure les corps des espaces publics et fuir le vrai travail à mener qui est celui d’un accompagnement des populations d’une part sans abris et de l’autre nomades. Au contraire de cette politique par défaut, il s’agit de mener un travail de fond , comme l’a montré l’ethnologue et psychanalyste Patrick Declerck à propos de « la grande désocialisation » dans son livre « les Naufragés ».
Nous avons évoqué une recherche sur le terrain du droit pour redéfinir les besoins vitaux des citoyens à la rue dans nos villes et en revendiquer la légitimité pour tous ceux et celles qui se trouvent forcés de vivre dehors :
Accès gratuit à l’eau potable, à des sanitaires Création d’interfaces associatives et institutionnelles entre les citoyens et les populations nomades et sans abris, qui fassent circuler l’information et la parole. Droit au logement pour tous D’autre part les plasticiens présents ont manifesté le désir de mener un travail de création d’un « mobilier de rencontre » éphémère, stimulateur de discussions lors d’un événement qui traiterait de ces questions dans un espace public à Strasbourg. Créer des prototypes d’un mobilier qui renverserait la tendance et favoriserait la rencontre plutôt que de l’exclure.
Freddy Cohen, plasticien, ancien travailleur social connaissant des populations de roms et de gitans, propose de dresser une cartographie des parcours quotidiens, un « portrait par l’espace parcouru » dans la ville de ces personnes, accompagné de témoignages.
De ce débat naît l’idée de réaliser un documentaire dressant des portraits de personnes à la rue d’une part et de représentants des roms d’autre part. Ce film sera réalisé par le relais des travailleurs sociaux strasbourgeois connaissant bien ces populations.
La projection sera un des éléments d’un événement, intervention éphémère dans l’espace public mêlant design, informations, cartes et affiches, propositions plastiques et questionnements politiques.
La transversalité de cette proposition correspond à la pluralité des participants du débat qui en faisaient la richesse, architectes, travailleurs sociaux, plasticiens. Elle correspond plus généralement à l’absolue nécessité aujourd’hui de croiser les savoirs pour les faire progresser.
L'espace public est aujourd'hui progressivement privatisé et les comportements des gens sont profondément modifiés dans leur relation à l'autre. L'espace public devient un lieu de passage, et les rencontres ont lieu ailleurs : dans les habitations, cafés, restaurants.
Seuls les gens qui n'ont que cet espace pour vivre ressentent pleinement la violence de son aménagement : disparition des bancs, obligation de circuler, absence de toute intimité.
C'est pourquoi nous proposons un évènement où toutes les personnes qui ont participé au projet se rejoignent, et où un dispositif spatial, une projection et un débat sont mis en scène sur une place, pour créer une rencontre directe avec les citoyens.
Dans ce rassemblement seront présents ceux dont de nombreux médias parlent habituellement comme des objets, « les exclus », les « sdf » et les « nomades » au moins à travers leur portrait filmé sinon par leur présence. On sera attentif à bien distinguer les sans abris et les populations nomades, non pas en terme manichéen de choix ou nécessité de vivre dehors, mais parce que leur situation est différente.
Sur les mobiliers seront présentés sous forme d’affiches le résultat des recherches, cartes, témoignages et revendications utopiques et réalistes réalisées pour cet événement.
Le documentaire servira de base à un débat public autour de ces questions, auquel nous inviterons également des élus à l’aménagement et à l’urbanisme, des associations et des acteurs du monde social, des artistes. Des actes de ces rencontres seront retranscris et envoyés aux participants.
4/ Le contexte de ce travail
Artiste plasticien, je propose lors d’ateliers avec des habitants des pratiques artistiques et des discussions sur les transformations de l’espace public, à l’aide du design, de la photographie ou de la vidéo. Ces dispositifs éphémères mettent en débat la ville, portent un regard critique sur le paysage et sa planification imposée, révèlent par l’image la dimension plastique des paysages de banlieue hétéroclites, mélanges de l’histoire industrielle et post industrielle du 20ème siècle.
Partisan d’une appropriation des espaces par les habitants, d’un urbanisme participatif et situationnel, j’ai rassemblé depuis plusieurs années une documentation photographique sur les signes visibles d’un design anti SDF dans les espaces publics parisiens, écrit un article sur le caractère nuisible d’un tel design. Un appel a été publié dans la revue 9/9 (n°4, Ville 9) pour constituer une documentation de travaux d’artistes et de designers contrecarrant la tendance actuelle.
La rencontre avec le Parlement des Arts et David Hurstel a permis de constituer un groupe interdisciplimaire désireux de développer une démarche similaire en croisant les pratiques et les points de vue : architecte, travailleur social, plasticien… Le but est de proposer une intervention dans un espace public à Strasbourg, un débat public avec l’aide des associations locales. Ce projet est en outre soutenu par FR3 Alsace.
Le Repos du Fakir
La vidéo le repos du fakir , 6 minutes , réalisée avec Stéphane Argillet, va dans le même sens par une analyse descriptive des dispositifs placés devant les banques, les grands magasins, les transports publics pour exclure les sans abris, les éloigner des lieux de représentation de la ville. Paraissant une fiction burlesque, elle est pourtant documentaire. La vidéo constitue une archéologie critique du mobilier urbain parisien, mais elle traite aussi de la place de l’exclu dans la ville moderne, de son corps, de son angoisse face à la planification, de sa volonté de surmonter les obstacles absurdes que la société lui oppose par démission face au travail social à mener contre l’exclusion, la pauvreté, la disparition des espaces de rencontre et de convivialité.
L’analyse prend Paris pour exemple, mais les effets de ce type de gestion existent ailleurs. D’autres dispositifs d’exclusion encore plus extrêmes existent : ainsi des quartiers privés gardés par des vigiles excluent les piétons à Los Angeles (City of Quartz, Mike Davis). Dans quel sens les espaces publics parisiens vont ils évoluer ? Quelles propositions pour un urbanisme participatif ? Tel pourraient être les thèmes d’un débat autour de ce travail.
Mode de production et de diffusion
La vidéo est produite par l’association Canal Marches, une association qui soutient les luttes des chômeurs à travers l’audiovisuel depuis 1997. Une publication a été produite par l’association Ne pas Plier pour accompagner sa projection lors de débats. Elle décrit précisément les dimensions et les situations de ces dispositifs. Le film a été primé en 2003 au festival de Vébron, et une double page a été publiée dans le numéro d’automne 2004 de la revue Vacarme consacrée à Michel Foucault. Ce film a reçu le soutien du CNC. Gilles Paté, Octobre 2004