Il était une fois un petit canard rouge. Il avait été mis au point par des chercheurs de l’INRA, l’institut national de recherche agronomique. C’était de la recherche fondamentale, il n’y avait pas vraiment de besoin ni de demande particulière pour un canard rouge mais enfin puisqu’il était là autant l’étudier. Le canard rouge fut donc lâché dans la nature au cours d’un pince-fesses qui rassembla du bien beau monde : le préfet, le président de l’université, le directeur du CNRS, le secrétaire général de la caisse d’épargne…
Après les discours, le verre de l’amitié et le traditionnel concours de t-shirt mouillé, le canard rouge fut livré à lui même dans un cours d’eau de première catégorie. Livré à lui-même, façon de parler. Il était relié en permanence avec les chercheurs par le truchement d’une puce électronique inoculée sous son plumage qui transmettait en temps réel sa géolocalisation, le nombre de ses battements cardiaques, sa vitesse natatoire et les quantités de nourriture absorbées. Une micro-caméra planquée dans son aigrette permettait aussi d’observer les autres animaux avec qui il frayait.
Mais le petit canard rouge qui était un peu parano (un défaut qui n’avait pas pu être corrigé en laboratoire) avait peur de toutes les autres créatures vivantes et ne frayait avec personne. N’empêche, ça a quand même permis de faire de belles images primées à plusieurs reprises dans des festivals de cinéma expérimental.
Et puis un beau jour, une cane généreuse qui avait déjà adopté un vilain petit canard et qui n’était plus à ça près, prit le petit canard rouge sous son aile et la famille s’agrandit. Mais comme le constatèrent les chercheurs de l’INRA les choses ne se passèrent pas très bien. Les petits canards de souche, ses frères adoptifs en quelque sorte, le prirent aussitôt en grippe. Le vilain petit canard aussi. Pour tenter d’être accepté dans la famille il avait lui-même dû subir mille vexations et manifestations hostiles et il se vengea de ces mauvais traitements sur le nouveau venu dont la vie devint un enfer. Un beau jour, enfin pas si beau que ça, au cours d’un des nombreux passages à tabac dont fut victime le petit canard rouge, le coûteux matériel scientifique fut endommagé.
Les chercheurs perdirent alors définitivement la trace de leur objet d’étude ce qui ne les empêcha pas de publier quand même plusieurs articles dans des revues scientifiques réputées. *
*Le comité de rédaction qui juge ce conte désobligeant pour l’INRA tient à témoigner ici de son profond respect pour l’ensemble de ses personnels, le sérieux et la qualité de leurs travaux et les informe que l’auteur a fait l’objet de sévères remontrances. (ndcdr).