(conte communiste révolutionnaire)
Il était une fois une reine teigneuse et capricieuse, assez joliment faite mais sans plus. Elle tenait pourtant absolument à être la plus belle du royaume. Ah ça, on peut dire qu’elle y mettait le paquet. Elle organisait des concours truqués de « Miss son pays » qu’elle gagnait à tous les coups. Pour optimiser ses chances elle s’était même attachée les services d’un conseiller en image, un certain Fernando Miroir. Elle l’appelait à tout bout de champ pour lui demander : « Miroir, mon bon Miroir suis-je bien la plus belle ? » et le servile expert lui susurrait inlassablement « Oui Ô ma Reine, tu es la plus belle. Il y a bien une fille encore plus belle que toi, c’est Rouge-Neige, mais à quoi bon même y penser puisque de toute façon tu vas bientôt la liquider en lui faisant boulotter une pomme empoisonnée ».
Il est peut-être temps de vous présenter Rouge Neige à la beauté sublime, on vient d’y faire allusion, mais un tantinet altérée par son penchant pour le jaja qui lui couperosait le minois. On l’appelait aussi Rouge Neige à cause de son passé trotskiste. Quant à « Neige » personne ne savait d’où ça venait.
La reine avait donc conçu en secret le projet de la trucider. Mais Miroir qui était un agent double prévint Rouge-Neige du sort funeste qui l’attendait. Alors, pas folle la guêpe, elle prit le maquis, avec des après-skis kaki, du whisky yankee, des zakouski exquis et un sulky tiré par des huskies bien mal-acquis à Helsinki mais qui lui profitèrent quand même. La preuve : elle trouva refuge dans une petite cabane au fond des bois tenue par un collectif de nains mineurs . Ils prirent Rouge-Neige au pair et lui offrirent le gîte et le couvert en échange d’un peu de ménage, de cuisine et de repassage. Et tout alla pour le mieux, jusqu’au jour où une vieille marchande de pommes empoisonnées sonna chez les nains qui étaient au turbin. C’est donc Rouge-Neige qui lui ouvrit. A peine la vieille eut-elle fini son boniment qu’elle l’entreprit longuement pour tenter de la convaincre de renoncer à son petit commerce de pommes (« un expédient lumpenprolétarien ») et lutter à la place pour un droit mérité à une retraite décente et digne dont la privaient ces salauds de capitalistes. La reine, car si vous n’avez pas sauté de lignes au début du conte vous avez compris qu’il s’agissait de la reine déguisée en vieille marchande de pommes empoisonnées, la reine donc, comme tous les jeunes gens de bonne famille avait été un peu mao au sortir de l’adolescence et elle nourrissait une haine tenace à l’encontre les troskos aussi ne put-elle s’empêcher de répliquer par une perfide allusion à Kronstadt. Ce qui mit le feu aux poudres.
Heili, heilo, en rentrant du boulot, les sept nains trouvèrent, attablées à la cuisine, de part et d’autre d’une bouteille de Marie Brizard sérieusement entamée, Rouge-Neige et une vieille femme qui s’invectivaient violemment à propos de la IVeme Internationale et de la Révolution culturelle, tout en s’apostrophant par de fielleux « camarade ». Elles ne prêtaient aucune attention aux vrais travailleurs qui venaient d’arriver. Pire, occupée qu’elle était à parler politique, Rouge-Neige en avait oublié de préparer le repas. Alors que voulez-vous que fissent les nains ? Ils mangèrent en loucedé les pommes de la vieille.
Ce larcin commis par des prolétaires au détriment d’une sœur de classe fit rebondir le débat sur la difficulté de faire coïncider la théorie révolutionnaire et la praxis . Là encore, tandis que les vrais travailleurs agonisaient dans d’atroces souffrances, nos deux pasionarias s’étripaient verbalement, chacune accusant l’autre d’avoir proféré des inepties déviationnistes qui avaient démoralisé la base. On s’étripa d’abord au figuré jusqu’à un imprudent « sociale-traîtresse » proféré par la vieille éméchée. Rouge-Neige se saisit alors d’un des pics des nains et éventra sauvagement l’aïeule.
En clapotant la vieille marchande de pommes empoisonnées reprit ses traits de feu la reine. Bingo, un régicide ! La camarade Rouge-Neige avait sonné le Grand Soir.
Elle fut dès lors traitée comme une héroïne de la classe ouvrière, mena la vie de château, n’organisa plus que des concours truqués pour récompenser des travailleurs méritants et limogea ce Miroir devenu inutile qui finit sa carrière, sans tain, dans un commissariat.
Score final : Trotsky-Mao 1-0