La princesse et les sept chevreaux

Il était une fois une jeune et belle princesse assez portée sur le cuir.
Pour assouvir cette passion elle élevait en son jardin secret sept jolis chevreaux qu’elle destinait chacun à un élément particulier de sa garde-robe, plus quelques accessoires. Aussi les avait t-elle respectivement appelés : Chapka, Zomblou, Larfeuille, Soutif, String, Cravache et Bob.

Déguisée en bergère, elle passait des heures à leur flatter les flancs, rêveuse. Mais les chevreaux n’étaient pas dupes, dupes, dupes wabalooboo (ça c’était le passage rock’n’roll du conte). Ils se doutaient bien qui si leur maîtresse les tripotait de la sorte c’est qu’elle avait de bien sombres arrière-pensées. Il y avait péril sous roche et anguille en la demeure.

« It smells the roussi » déclara un jour Chapka, le meneur, pour résumer la situation. Et il réunit toute la bande pour conciliabuler. « Camarades, leur dit il, la réaction veut nous tondre la laine sur le dos, nous saigner à blanc, nous exploiter. Groupons nous et demain etc…
Zomblou, le plus casse-cou, proposa illico une grande évasion. Suggestion immédiatement rejetée. Si le jardin était bien entouré d’une haute clôture en grillage, ils n’avaient pas de moto pour se faire la belle.
Larfeuille lâcha alors « on pourrait peut-être négocier, lui proposer de l’oseille». Mais Chapka répliqua par la sagesse d’un dicton populaire monégasque : « Princesse pleine aux as n’a cure de pognasse ». String ne disait rien.
Cravache, la gourmande, lançait à qui voulait l’entendre qu’elle entamerait dès le lendemain, peut-être le surlendemain, une grève de la faim. C’est alors que Soutif, le pacifiste de la bande, suggéra d’une petite voix mal assurée qu’on pourrait peut-être commencer par adresser à la princesse une pétition accompagnée d’une lettre pleine d’émotion pour lui demander de surseoir à ses desseins funestes. « Une pétition ça mange pas de pain et c’est pas trop cassant à faire ». Motion adoptée à l’unanimité. Bob fut chargé d’aller quérir un bic et un carnet Badoit chez le mastroquet du coin et l’on se mit à rédiger un plaidoyer qui commençait par « Madame la princesse, on vous fait une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps… ».
Mais la princesse qui avait un cœur de pierre et une main de fer dans un gant de velours balaya d’un revers de ladite main de fer dans un gant de velours les revendications caprines et fit séance tenante la peau aux sept chevreaux. Lesquelles peaux furent ensuite tannées, séchées, estampillées « pure goat leather » et vendues au prix fort à un maroquinier niais.